Low-tech : rencontre avec la designeuse Caroline Pultz !
Amener la nature chez soi, faire un meilleur usage des technologies, adopter un mode de vie plus durable mais aussi désirable… Voici les thématiques qui guident les pas de Caroline et l’ont amenée à rejoindre l’équipe du Low-tech Lab et la folle aventure de la Biosphère du désert ! 🌵☀️
PARTIE 1
Portrait d’une exploratrice low-tech 🙍♀️🔎
Est-ce que tu peux nous en dire plus sur toi et ton parcours ?
Architecte d’intérieur de formation, j’ai toujours été séduite par l’idée de ramener le vivant à l’intérieur de nos maisons. Le potager n’est plus à côté de la maison, c’est la maison elle-même ! Ça été le fil rouge de tous mes projets et sans le savoir j’utilisais des moyens low-tech.
🍄 Par exemple, mon premier job a été de concevoir et dessiner une production de luminaires en mycélium de champignon, un matériau vivant capable de remplacer le plastique ou le polystyrène expansé pour l’isolation. La production est super low-tech car les champignons ont besoin de très peu de ressources : un endroit sombre et humide (comme dans des caves) et des “déchets” organiques (comme la paille et le marc de café).
Quand et comment as-tu intégré l’équipe du Low-tech Lab ?
⛵ J’ai été invitée à rejoindre le Nomade des Mers lors d’une escale à San Francisco en 2019 pour accompagner l’équipage dans leur étude sur les biomatériaux. C’était dans le cadre de la série documentaire Les escales de l’innovation pour Arte. À bord, j’ai été subjuguée de voir en vrai autant de low-tech illustrées dans mes projets d’école. Depuis, je n’ai plus quitté le Low-tech Lab !
Que penses-tu des technologies d’aujourd’hui ? ✈️
En soi, la technologie est géniale. C’est trop cool d’être raccordé à l’eau en ville ou d’utiliser un jet pour sauver une personne et l’emmener aux urgences (vs aller chercher son pain avec ce même jet). On ne dit pas non à la high-tech, on essaie de la repenser pour en faire bon usage, dans des situations d’urgence par exemple. Pour le reste (= notre quotidien, soit 99% du temps) on peut vivre low-tech sans nuire !
Le terme low-tech est né dans le monde des ingénieurs mais depuis quelques années, on le retrouve dans plein de domaine, aussi bien dans la cuisine que dans le numérique, la mobilité ou encore le design ! La démarche low-tech s’applique à tous les pans de notre vie. C’est même devenu une philosophie, celle du bon sens.
Pourquoi est-ce que c’est important pour toi que les low-tech soient désirables ? 😍
À travers nos projets avec Corentin, on a envie de montrer qu’au-delà du simple bricolage, ce sont des moyens techniques qui nous permettent de changer nos modes de vie : plus sains, plus logiques, plus durables pour les générations futures et aussi vachement plus épanouissants !
Pour l’instant, quand un truc est beau, ce n’est souvent pas fonctionnel et donc ça ne peut pas être low-tech. On a envie de changer ça et la biosphère du désert l’a démontré : elle est belle ET fonctionnelle. Son esthétique est issue de la contrainte technique low-tech : utiliser des matériaux uniquement biosourcés à l’image d’un monde post-pétrole.
Question bonus : quelle est ta low-tech favorite, celle que tout le monde devrait utiliser selon toi ?
Un biofiltre ! Je trouve ça tellement génial de pouvoir fabriquer son propre engrais avec juste de l’eau, des billes d’argiles et 1% d’urine. Quand on sait que le phosphore minéral de nos terres est voué à disparaitre dans les prochaines années (celui que les industriels utilisent pour produire nos engrais) fabriquer son engrais maison prend tout son sens. Ça devrait parler à tout le monde et je suis sûre qu’on a tous et toute au moins une plante à la maison ! 🌱
PARTIE 2
L’expérience « Biosphère du désert » 🏜️
Au Mexique, en plein désert, Caroline et Corentin de Chatelperron (ingénieur) ont tenté une aventure incroyable : : vivre en autonomie dans un habitat low-tech !
🖥️ Arte vous a suivi pendant plusieurs mois sur la préparation de ce projet. À quoi ça sert de se préparer ?
Corentin avait déjà réalisé une première biosphère lors de son escale en Thaïlande en 2016 avec laquelle il a pu valider le principe de mettre en synergie des systèmes low-tech (car certaines low-tech fonctionnent mieux ensemble que seules). Pour cette 2ème expérimentation, on a terminé le tour du monde avec le Nomade des Mers entre temps et on a voulu compléter cette combinaison de low-tech avec des nouvelles repérées à la fin du périple.
Deuxième objectif : on voulait étudier l’enjeu de l’eau car c’était un point qui n’avait pas abouti lors de la première expérience.
Troisième objectif : il fallait que cette nouvelle biosphère soit désirable ! Pour y arriver, on s’est vite rendu compte qu’il fallait s’entourer d’experts dans chaque domaine pour pouvoir concevoir l’habitat écosystème. C’était super riche de venir les rencontrer, d’apprendre de leur expérience et faire des ponts entre les différentes expertises. Un peu comme le fait la NASA. À part eux, il n’y a pas grand monde qui étudie les habitats capables de produire assez d’eau, d’énergie et de nourriture pour ses habitants ! C’est comme ça qu’on est venu vous voir, pour créer la « NASA des low-techs ».🚀
Est-ce qu’il y a eu une grande différence entre ce que vous aviez imaginé et la réalité ? 🤔
Il y a toujours une grande différence entre la théorie et la pratique, c’est pour ça qu’on aime expérimenter les choses ! Par exemple, on a scanné la planète pour trouver un endroit désertique mais à côté de la mer et avec un ensoleillement maximal. Il se trouve que pendant les 2 premiers mois on a eu un ciel nuageux qui a fait chuter nos rendements (dessalinisateurs solaires, tout le vivant, cuissons solaires). C’était dur ! 🌥️
Un autre truc auquel je ne m’attendais pas c’est de voir à quel point le désert dans lequel on était regorgeait de vie ! On n’aurait pas pu le voir si on n’était pas resté 4 mois au même endroit. Le vivant est très résilient, d’ailleurs on n’a toujours pas compris où les animaux trouvaient de l’eau douce avant qu’on arrive avec nos dessalinisateurs solaires !
Que ce soit avant ou pendant l’expédition, quels sont tes plus beaux souvenirs ? Et les pires ?
La nourriture a été l’un des meilleurs souvenirs. Avec notre maigre liste d’ingrédients, on a réussi à faire des plats incroyables avec les légumes-feuilles, les champignons, la spiruline, les grillons, les céréales et les légumineuses. On a hésité à écrire un livre de recettes mais on s’est dit que personne à part nous n’avait de spiruline fraîche et de grillons ! 🥬 Découvrir et étudier la biodiversité autour de nous a été un moment fort aussi, on a appris tellement de choses, comme si on avait débarqué sur une autre planète avec d’autres espèces vivantes ! Ça a beaucoup changé notre rapport au vivant, au monde…
Mon pire souvenir, c’est le début de l’expérience. J’avais une boule au ventre pendant les 2 premières semaines rien qu’à l’idée de devoir dormir isolée de la civilisation avec potentiellement des scorpions et des crotales vivant là depuis toujours. Mais au fur et à mesure, on a appris à étudier ce lieu extraordinaire.
Sinon, on a eu beaucoup de galère avec la production de l’eau, puis le four solaire qui ne cuisait pas à cause des nuages ou encore la température (8°C la nuit, 36°C le jour). Ça été dur de passer d’un monde où tout est à portée de main (tu appuies sur un bouton pour un café ou démarrer un SUV) à un autre où il faut tout faire de A à Z pour manger, boire, chercher des infos sur le net, faire du vélo pour recharger son téléphone, etc ! En rentrant en ville je me suis dit qu’on avait vraiment le cul dans le beurre ! Expression belge. 🤣
Quand tu rencontres des gens qui ne connaissent pas les low-techs et que tu leur parle de la biosphère, ils réagissent comment ? 😲
Soit ils comprennent et ils veulent eux aussi expérimenter sur eux-mêmes, là c’est gagné. D’ailleurs on lance un programme de sciences participatives avec la prochaine biosphère en milieu urbain : inscrivez-vous !
Soit il faut que je ré-explique les enjeux et l’urgence d’explorer de nouveaux modes de vie, d’expérimenter des choses qui construisent petit à petit l’image d’un futur vers lequel on veut aller (car la conquête de l’espace ou le monde connecté qu’on nous promet n’est juste plus crédible, ni adapté, vive la science-fiction).
PARTIE 3
Le choix de l’hydroponie 💧
Au niveau de la production de plantes, comment fonctionnait votre système de culture sur la biosphère ?
Comme on a choisi de faire l’expérience en plein désert pour étudier la contrainte de l’eau, l’hydroponie était pour nous LA solution idéale pour cultiver des plantes comestibles car le circuit d’eau fermé nous permettait de consommer le moins d’eau possible. Dans le désert, c’est difficile d’importer des engrais. Du coup, on a produit notre propre engrais à base d’urine, grâce à un biofiltre. Ce n’est plus de l’hydroponie mais de la bioponie ! 🌱
Est-ce que vous êtes contents de la production végétale sur ce projet ?
Sur 4 mois, on a calculé qu’il nous fallait en moyenne 27L d’eau par jour pour la production des aliments, la cuisine et l’hygiène pour 2 humains : merci la bioponie ! Alors que quand on est revenu en France, il parait qu’on consomme en moyenne 150L d’eau par jour et par personne. Niveau production, je pense qu’on a encore beaucoup, beaucoup à apprendre…
On a produit 9kg de légumes-feuilles sur 8m² en 4 mois (du 1er janvier à fin avril 2023). Selon nos recherches avec notre nutritionniste Anthony Berthou, on devait consommer 150g de légume-feuilles chacun pour atteindre nos apports nutritionnels conseillés mais on récoltait environs la moitié chacun. Par contre, nos prises de sang avant et après l’expérience n’ont montré aucune carence ! Ouf.
Malgré notre piètre production, nous sommes heureux d’avoir mangé des aliments aux multiples saveurs (merci de nous avoir fait découvrir la moutarde wasabina 😋), bourrés de nutriments pour le corps et « farm’s to table » ! Tout était à portée de main, à même pas 1m de la cuisine ! La production de légume en bioponie est un savoir-faire que l’on souhaite garder et approfondir pour les prochaines expériences !
Nos lecteurs sont parfois un peu perdus quand on prône des valeurs d’écologie et qu’on produit en hors-sol. Est-ce que pour toi c’est incompatible ? 🤔
Je pense sincèrement que c’est compatible, quand c’est fait avec du bon sens comme je le disais plus haut, tous les moyens sont bons ! L’un n’empêche pas l’autre et c’est même complémentaire il me semble (les plants pour la culture en sol sont souvent issus de la culture hors-sol).
Liens vers les épisodes de leur aventure ⏩
Biosphère du désert : la prépa d’une mission low-tech (1/5) | ARTE
👉🏻 https://www.youtube.com/watch?v=YtQwjNLb6kU
Valoriser nos déchets | Biosphère du désert : la prépa d’une mission low-tech (2/5) | ARTE
👉🏻 https://www.youtube.com/watch?v=r4O_Kw5SL8A
Produire de l’eau | Biosphère du désert : la prépa d’une mission low-tech | (3/5) | ARTE
👉🏻 https://www.youtube.com/watch?v=7bI_drOcg9M
Générer notre propre énergie | Biosphère du désert : la prépa d’une mission low-tech (4/5) | ARTE
👉🏻 https://www.youtube.com/watch?v=-dw7bEPf8Fs
Vivre avec des biomatériaux | Biosphère du désert : la prépa d’une mission low-tech (5/5) | ARTE
👉🏻 https://www.youtube.com/watch?v=KCuEe1onwkg
L’expérience biosphère : 120 jours dans le désert | ARTE
👉🏻 https://www.youtube.com/watch?v=bVQRUPP_FR8