Si la croyance populaire veut que l’aquaculture végétale soit une résultante de l’apparition de l’agrochimie et des engrais de synthèse durant la première moitié du siècle dernier, il s’avère que ses origines remontent à des temps bien plus anciens…


En effet, au début du 2ème millénaire, les aztèques pratiquaient déjà une forme d’agriculture hors-sol autours de leur capitale Tenochtitlan (ci-contre), située au beau milieu du lac Texcoco. Ce lac, en partie marécageux, était l’endroit idéal pour développer à grande échelle une technique de culture alors assez marginale utilisée par des paysans limitrophes des lacs Xochimilco et Chalco : les chinampas.

Les chinampas sont des îles artificielles structurées par un agencement de roseaux étalés autours de piquets de bois plantés sous la surface de l’eau et qui formaient ainsi une clôture sous-marine. A l’intérieur, on trouve un enchevêtrement de boues et de végétaux aquatiques accumulés jusqu’à un mètre au-dessus de la surface et qui forment un terreau fertile cultivé par la suite. Sur la surface, des saules ou cyprès peuvent être plantés à chaque coin de l’installation afin de la sécuriser.

La construction de ces îles artificielles fut à l’époque accompagnée d’un système d’irrigation permettant la circulation de l’eau, des sédiments et bien sûr des poissons entre les chinampas. Non seulement les cultures n’avaient pas besoin de se soucier du manque de pluie, mais les aztèques récupéraient la boue riche en nutriments qui s‘était accumulé au fond des fossés pour fertiliser leurs cultures. Cette alternance entre îles artificielles et canaux de circulation d’eau donnait à ces constructions l’apparence d’îles flottantes ou « chinampas » dans le dialecte local.

A l’époque, ce mode de culture agroécologique très productif permettait de nourrir une grande partie des cités aztèques. Quelques siècles plus tard, cette agriculture vivrière est peu à peu remplacée par une horticulture intensive sous serre ayant parfois impact négatif sur l’environnement. Si certes cette activité s’avère être beaucoup plus rentable, il devient urgent de valoriser les nombreux services éco-systémiques apportés par la culture sur chinampas, désormais en voie d’extinction. Les lacs Mexicains font désormais face à la déforestation, l’encombrement des canaux d’irrigation et la diminution de leur autonomie alimentaire. Les chinampas pourraient cependant refaire surface grâce à l’intervention d’une équipe de chercheurs qui vise à utiliser cette technique pour redynamiser le développement des mangroves.

Une équipe de chercheurs Mexicains a récemment réussi à restaurer presque 2 ha de mangroves dans la réserve Los Canates Nature en plantant 3 variétés de mangroves différentes sur plusieurs centaines de chinampas. Ces structures, parfaitement adaptées à des contextes soumis aux inondations, offre un milieu idéal pour le développement des mangroves. La photo ci-contre montre des ouvriers mexicains entrain de creuser un cours d’eau pour restaurer les mangroves disparues de ce site.
Les mangroves sont des écosystèmes très importants. Ils nourrissent les pêcheurs des côtes, réduisent l’impact des inondations en faisant office de zone tampon, ils jouent un rôle d’interface entre différents types d’écosystèmes marins et forestiers, donnent du bois aux communautés locales, filtrent l’eau et s’ont l’un des écosystèmes qui stocke le plus de carbone au monde.

Ainsi, les chinampas sont plus que de simples ancêtres de l’aquaculture. Ils sont une méthode de culture hors-sol agroécologique et low-tech, capable non seulement de nourrir la population locale quand le milieu est adapté, mais également de restaurer des écosystèmes caractéristiques de leur environnement. A la croisée entre permaculture et aquaponie, les chinampas restent une source d’inspiration, témoin d’une civilisation perdue qui ne cesse de nous émerveiller et nous réserve encore quelques secrets…

Sources :

  • Ebel, Roland. s. d. « Chinampas: An Urban Farming Model of the Aztecs and a Solution for the Megalopolis of Our Times ». In . ECO. s. d. « Mangrove Restoration in Key Mexican Coastal Lagoons in the Gulf of Mexico | Featured Stories ». ECO Magazine. Consulté le 11 juillet 2018. https://www.ecomagazine.com/featured-stories/mangrove-restoration-in-key-mexican-coastal-lagoons-in-the-gulf-of-mexico.
  • Embarcadero-Jiménez, Salvador, Flor N. Rivera-Orduña, et En Tao Wang. 2016. « Bacterial Communities Estimated by Pyrosequencing in the Soils of Chinampa, a Traditional Sustainable Agro-Ecosystem in Mexico ». Journal of Soils and Sediments 16 (3): 1001‑11. https://doi.org/10.1007/s11368-015-1277-1.
  • Merlín-Uribe, Yair, Carlos E. González-Esquivel, Armando Contreras-Hernández, Luis Zambrano, Patricia Moreno-Casasola, et Marta Astier. 2013. « Environmental and Socio-Economic Sustainability of Chinampas (Raised Beds) in Xochimilco, Mexico City ». International Journal of Agricultural Sustainability 11 (3): 216‑33. https://doi.org/10.1080/14735903.2012.726128.
  • ORTIZ-CORNEJO, Nadia Livia, Marco LUNA-GUIDO, Yadira RIVERA-ESPINOZA, María Soledad VÁSQUEZ-MURRIETA, Víctor Manuel RUÍZ-VALDIVIEZO, et Luc DENDOOVEN. s. d. « GREENHOUSE GAS EMISSIONS FROM A CHINAMPA SOIL OR FLOATING GARDENS IN MEXICO », 9.
  • « The Aztec Civilization: Aztec Environment ». s. d. The Aztec Civilization (blog). Consulté le 15 juin 2018. http://aztecgroup.blogspot.com/p/aztec-environment.html.